De son véritable nom Hieronymus Van Haken, Jérôme Bosch est né dans une famille modeste originaire d'Aix la
Chapelle, venue s'installer en Pays Bas deux siècles plus tôt.
Son grand-père Jan Van Haken et son père Anthonis Van Haken ont exercés déjà le métier de peintre, quand
Hieronymus naît vers 1453 à S'Hertogenbosch au Pays Bas. On sait assez peu de chose sur sa vie, mais on sait
qu'il se marie vers 1478 avec une aristocrate qui lui permet d'accéder à un statut social plus enviable et à une
certaine sécurité matérielle. Vers 1486, Jerôme Bosch est cité comme membre d'une confrérie, "La Confrérie Notre
Dame", proche d'une secte hérétique "Les Frères du Libre-Esprit".

Une citation de 1509 dans les registres de "La Confrérie de Notre Dame" le fait apparaître comme étant
"Jheronymus Van Haken, le peintre qui signe "Bosch". C'est peut être pour se différencier des peintres de sa
famille, mais aussi des villes des écoles néerlandaises qu'étaient Bruges, Louvain ou Tournai qu'il prend pour nom
de peintre le nom de "Bosch" qui signifie "bois".
Si l'origine de l'art et de son évolution stylistique est assez complexe, le difficulté est accrue par le fait qu' aucune
oeuvre n'est datée et que de nombreux panneaux qu'il a peint ont été détruits. La chronologie de son oeuvre est
difficile à établir et repose en partie sur des hypothèses.

On ne sait que très peu de choses d'abord sur la période d'apprentissage de Jérôme Bosch, dont on peut
cependant dire qu'elle n'a pas pu échapper d'abord à l'influence exercée par les oeuvres de son père. On peut
supposer par ailleurs, que bien qu'on ne sache rien de sa formation ou de ses déplacements hors de sa cité natale
qui l'auraient mis en contact avec d'autres artistes de son époque. Ses tableaux sont très marqués par les
représentations du bien, du paradis, du mal, du vice, de la douleur, de la souffrance, propre aux préoccupations
médiévales de son temps. Le salut, le jugement dernier, l'attente de l'avenir, de la mort ou de la fin du monde,
prennent chez lui une forme très différente des peintres qui sont ses contemporains : tels les frères Van Eyck,
Rogier Van der Weyden ou Memling, mais encore Dürer ou Léonard de Vinci. Ce n'est pas une résignation pieuse
propre au Moyen-Age qui s'exprime chez lui, comme dans de nombreuses oeuvres de cette époque, mais à
l'inverse, une interrogation par la représentation morale de la responsabilité des hommes ici bas, et ainsi en
quelquesorte une ouverture à la modernité.

En ne pouvant le rattacher à aucune école artistique, il constitue en luimême peut -être une rupture avec le monde médiéval, par son appel à unnouveau monde au travers la symbolique et le langage qu'il utilise. On peut rapprocher certains détails de son oeuvre au rendu de certains visages oude certains paysages que l'on trouve chez Rogier Van der Weyden de Bruxelles, ou Le Maître de Flémalle d'Anvers, ou encore Hugo VanderGoes, et on peut aussi trouver aussi quelques similitudes avec les peintres de l'Ecole de Delft. Ce que l'on peut dire, c'est sans doute que l'art de
Jerôme Bosch trouve son origine dans un style gothique qui marque l'ensemble de l'art européen au début du Vème siècle : les tons clairs, les traits délicats, le traitement des drapés.

Mais ce qui différencie Bosch, ce sont les représentations de figures monstrueuses construites à partir de gravures
de bestiaires du Moyen-Age : pattes d'insectes, plumes et becs d'oiseaux, têtes de reptiles ou de batraciens,
membres humains, mais aussi machines fantastiques ponctuent son oeuvre dans des paysages chaotiques. Les
visions de certains prédicateurs de son époque peuvent aussi être rapprochées de l'univers pictural de Jerôme
Bosch, telles celles d'Alain de La Roche qui meut en 1475, pour qui les insectes et les animaux sont les
représentations des vices et des péchés. On ne peut séparer non plus l'oeuvre du peintre par rapport à un
contexte religieux et théologique qui voit l'arrivée de Luther en Allemagne, pour qui le pêcheur ne peut se sauver
que par la foi qu'il met lui même en Dieu, et par la grâce que celui-ci lui accorde, et contre qui s'oppose Erasme
en Hollande qui défend le libre arbitre de l'homme, la raison et la foi, dans un livre paru en 1511 "L'Eloge de la
Folie.

Les rares repères chronologiques que l'on posséde reposent sur quelques commandes qui ont été faites à l'artiste entre 1488 et 1491 : notamment les volets d'un retable que Bosch réalise pour"La Confrérie Notre Dame", et en 1504, "Le Jugement Dernier " réalisé pour Philippe le Beau, Roi des Pays bas et de Castille.
Une oeuvre telle que "La crucifixion" est de facture encore classique et se rapproche des thèmes et des représentations des peintres flamands du début du XVème siècle, dans une composition simple et des perspectives
conventionnelles. Il s'agit probablement d'une oeuvre de jeunesse peinte peut-être au début des années 1480.

On attribue également à une première période de Jérôme Bosch, un plateau de table représentant les "Septs
Péchés Capitaux " dont la composition en médaillons avec des scènes disposées en cercle représentent les
péchés et les menaces qu'ils représentent. Cette oeuvre semble figurer, dans un ensemble à vocation décorative,
et pour celui qui s'approche de cette table, ce qui pourrait être l'oeil du Christ, dans lequel se réflète toutes les
bassesses humaines, et toutes les fautes de celui qui regarde.

"
L'Extraction de la Pierre de Folie", montre qu'en dehors des péchés, il y a aussi d'autres menaces : la crédulité, la stupidité, l'absurdité, la bêtise ou encore la folie, qui conduisent les hommes à s'en remettre à des charlatans ou à des médecins peut-être tout autant fous, et représentés avec un entonnoir sur la tête, entourés qu'ils sont des  religieux tout autant douteux quant à leurs connaissances.
" L'Escamoteur " est une oeuvre qui semble dénoncer l'incrédulité, l'indolence, la passivité, l'égarement, et l'apparence immédiate, dans un oeuvre qui vient en contrepoint à " L'Extraction de la Pierre de Folie".

"
La Nef des Fous", oeuvre qui semble avoir été peinte en cette même période, représente un moine et une religieuse chantant ensemble au fond d'une embarcation et au pied d'un mat de cocagne, entourés de
personnages gras aux apparences grivoises qui tentent de happer un gâteau suspendu à une corde . Il s'agit là
encore probablement d'une allégorie au contenu moral : l'abondance des mets et des boissons, la gourmandise,
l'insouciance, ont toutes les chances de mener aussi les religieux, à s'abandonner au péché, voire à la luxure .

"
L'Ecce Homo" qui semble être une oeuvre plus tardive, réalisée dans les années 1490, représente le Christ jugé, et présenté à la haine d'une foule qui croit ce qu'on lui raconte des fautes commises par le comdamné, dans l'indifférence générale du reste de la cité. Le Christ est soumis à la vindicte publique de notables qui apparaissent
être les complices de ceux qui jugent. "Le Portement de Croix", qui devait faire partie d'un tryptique de par
son format étroit, semble compléter "L'Ecce Homo". Après le jugement, la foule conduit le Christ avec  empressement au calvaire.
C'est la cruauté des hommes qui est représentée : le Christ porte sa croix avec des planches cloutées qui lui percent les pieds, et les coups de fouet qu'il reçoit d'hommes qui le conduisent bruyamment à la mort.

En 1484, un ouvrage intitulé " La Vision de Tungdal ", d'un auteur anonyme irlandais circule en Hollande. C'est un
long poème qui raconte l'histoire de Tungdal un chevalier Irlandais du XIIIéme siècle qui après une existence
d'oisiveté et de débauche, voit en songe l'enfer durant trois jours et trois nuits. A son réveil il se repent en se
retrouvant dans son corps humain. Il y a vu un monde peuplé de monstres, d'insectes et de serpents, dans les
ténèbres de l'enfer que l'on rejoint en traversant le paradis rempli de plaisirs, d'or, et de pierres précieuses. A n'en
pas douter, Bosch a pu lire et trouver inspiration dans ce poème médiéval, tant cela pouvait rejoindre ses propres
visions du monde à cette époque.

Le triptyque du "Chariot de Foin" probablement peint aussi vers la fin des années 1490 est l'une des oeuvres majeures de Bosch. D'un côté, la représentation d'un passé et du paradis terrestre, d'Adam et Eve et du péché. Au centre, la représentation du tumulte de la foule, et des hommes qui chacun cherchent individuellement à tirer profit du moment présent qui passe. A droite, l'enfer, ce monde qui attend l'homme et dans lequel les hommes et les bêtes s'entre-tuent et s'entre-dévorent, souffrent et meurent au milieu des calamités que sont le feu en haut et le
déluge en bas d'où personne ne réchappe.

"
Jérôme Bosch peint vers l'année 1500, le triptyque "Les Tentations de Saint Antoine", selon une trilogie allégorique proche du "Chariot de Foin". Sur le panneau de gauche, Saint Antoine est porté dans les airs par une grenouille, il est au dessus d'un monde où règnent les démons et les monstruosités. Sur le panneau central, le Saint est en
proie aux tentations terrestres, car lui aussi est de ce monde où règne le chaos et toutes les horreurs. Ce n'est pas le monde qui est mauvais mais les individus qui générent le désordre, la ruine, la misère, par leur folie, leur cupidité, et leurs instincts animaux. Sur le panneau de droite, Saint Antoine enveloppé de sa cape, est à l'automne de sa vie. Il est épuisé d'avoir vu et vécu au milieu d'un monde où il constate que les hommes sont aux prises de la folie.

Jerôme Bosch arrive à l'apogée de son art avec le triptyque du "Jugement dernier " en 1504. Sur le panneau
gauche, une représentation du paradis, et sur celui de droite, celle de l'enfer. Au dessus du panneau central,
domine le Christ entourés d'anges et de saints : il juge ce qu'ont été les actions des hommes représentées au
dessous.
Toutes les perversités, et toutes les horrreurs sont figurées au travers l'inventivité du peintre pour traduire par la
multiplicité et par les détails les atrocités qui mêlent les scènes humaines et animales.

Dans "Le Jardin des délices", autre triptyque, la démarche de Bosch est en contrepartie de montrer le paradis
terrestre au travers tous les symboles qui peuvent le représenter à son époque : les hommes vivent nus en
harmonie avec les animaux dans des paysages étranges, mais où semblent régner la sérénité. Sur le panneau
gauche, Adam et Eve sont au côté du Christ, avec au loin au delà de la rivière le palmier au fruit défendu entouré
d'un serpent et en arrière plan de multiples animaux aux allures paisibles, mais peut être prêts à se transformer en
monstres. Au centre, une représentation où les hommes vivent d'amour, de plaisirs, d'harmonie où règne
l'abondance, où la vie est un jeu, est un lieu de jouvence et de sérénité, dans lequel les hommes et les bêtes
habitent des maisons sphériques des bulles, ou des palais végétaux aux couleurs roses. Sur le panneau droit, la
représentation de scènes fantastiques, et de quelques scènes de folie avec au lointain des ombres de cités en
proie aux flammes, et des scènes de guerre traduisent le caractère éphémère et fragile du monde.

C'est à partir de 1508 que Jerôme Bosch semblent s'apaiser avec des compositions qui prennent des couleurs plus claires et plus apaisantes. C'est une époque où il peint dans des couleurs chaudes un triptyque très dépuillé tel que "L'Epiphanie", mais aussi une "Tentation de Saint Antoine" solitaire confronté silencieusement à lui même et aux démons.

Le "Portement de Croix avec Sainte Véronique " que Jérôme Bosch semble avoir peint vers la fin de sa vie, constitue sans doute son chef d'oeuvre. Le Christ dont on ne voit que le visage est représenté au milieu d'un ensemble dense de visages grossiers et grimaçants, alors que Sainte Véronique semble prier intérieusement au milieu de cette foule agressive et furieuse. Il prospecte dans cette oeuvre forte une composition reserrée qui rend les portraits plus proches, et plus vivants, mais encore plus hideux.

Jérôme Bosch meurt en 1516 à S'Hertogenbosch. Il aura été le peintre du réalisme de son époque, en sembant avoir exprimé de manière détaillée les travers de son temps et voulu mettre à la portée de tous, une symbolique morale, dans laquelle chacun a la possibilité de se reconnaître et trouver le chemin de son salut. Il exprime indiscutablement le renouveau spirituel dont l'époque a besoin et qui apparait peu après dans les oppositions entre Luther et Erasme, et la représention et le souhait d'un monde nouveau dans "L'Utopie" de Thomas Morus.
L'oeuvre et le mondede Jérôme Bosch exprimant la hantise de l'enfer, et les travers humains dans une oeuvre habitée de symboles, de mystères et de monstres, fera des émules à sa suite, dont Bruegel sera le plus important. Son oeuvre fortement décriée au XVIIIéme siècle, sera à nouveau redécouverte au XXème siècle avec les surréalistes, qui verront dans certaines de ses oeuvres la meilleure expression picturale des angoisses et de l'inconscient.